Jean-François Téaldi : "Cette réforme assassine l' audiovisuel public"
LEMONDE.FR
L'intégralité du débat avec Jean-François Téaldi, porte-parole de l'intersyndicale de l'audiovisuel public, vendredi 5 décembre, à 11 h .
Dans un "chat" sur Le Monde.fr, vendredi, Jean-François Téaldi, l' un des porte-parole de l' intersyndicale de l' audiovisuel public, dénonce une réforme "qui ramène à une télévision d' Etat".
Fédé : Que pensez-vous de la guérilla parlementaire actuellement en cours à l' Assemblée ? Est-ce vraiment une bonne chose pour la télé publique ?
Jean-François Téaldi : Je ne crois pas qu' il y a guérilla parlementaire, il y a en fait véritable débat, et c' est ce dont ne voulaient absolument pas le gouvernement et la majorité, puisqu' ils avaient décrété la procédure d' urgence, soit une seule lecture à l' Assemblée et une seule lecture au Sénat, prévues sur une ou deux journées.
Ils comptaient bien faire passer la réforme sans qu' il y ait un débat public et citoyen. Or avec la bataille d' amendements que mènent les groupes socialiste et communiste, on a ce débat de fond, non seulement dans l' Hémicycle, mais dans le pays, et c' est plutôt une bonne chose par rapport au projet néfaste du président de la République et de son gouvernement.
Artwo : D'après les discours des candidats en 2007, tout le monde s' accorde pour dire que l' audiovisuel public est sous-financé. Que proposent les syndicats ?
Jean-François Téaldi : Tout d' abord, le modèle économique qui existait depuis plusieurs années, reposant tout à la fois sur la redevance pour 70 % des ressources et sur la publicité pour 30 %, était un modèle économique qui marchait, puisque l' audiovisuel public rendait chaque année des comptes équilibrés.
Aujourd'hui, dès l' annonce de Nicolas Sarkozy le 8 janvier, les recettes publicitaires de France Télévisions ont chuté de 20 %, créant un manque à gagner de plus de 200 millions d' euros par rapport au budget prévisionnel.
Pour la première fois depuis des années, le budget 2008 fait apparaître un bilan négatif qui risque d' atteindre les 160 millions d' euros. Pour 2009, avec la suppression de la publicité après 20 heures, la direction de France Télévisions espère 260 millions d' euros de rentrées publicitaires avant 20 heures, mais il n' est pas du tout sûr que cet objectif soit atteint.
On voit donc bien, au-delà du sous-financement, que ni le gouvernement ni la commission Copé n' ont trouvé de modèle économique alternatif depuis dix mois.
La proposition de la CGT, c' est d' obtenir un moratoire sur la suppression de la pub, d' augmenter la redevance pour la porter par palier annuel au niveau moyen européen (161 euros au lieu de 116), et de limiter la publicité à 25 % du chiffre d' affaires France Télévisions. Si la suppression de la pub est votée par le Parlement, nous demandons qu' un bilan d' étape soit fait fin 2009 afin de voir si le système économique modifié est viable.
Zorglub : Pourquoi devrait-on avoir une télévision d' Etat, payer une redevance obligatoire, et n' avoir le choix ni des dirigeants, ni des programmes ?
Jean-François Téaldi : D' abord, l' audiovisuel public n' est ni une télévision ni une radio d' Etat, elle est une télévision et une radio publiques, ce qui est quand même différent. En revanche, effectivement, ce qui débouchera après le vote de la loi, avec la nomination des PDG de France Télévisions, Radio France et de l' audiovisuel extérieur en conseil des ministres nous ramène à une télévision d' Etat telle que nous la subissions à l' époque d' Alain Peyrefitte, où c'était le ministre de l' information qui dictait tous les soirs les contenus des journaux et des programmes aux chaînes de télévision et de radio. C' est un recul démocratique de quarante ans.
Bien entendu, les représentants du Parlement siègent déjà dans le conseil d' administration des différentes sociétés, ils peuvent ainsi contrôler chaque année l' utilisation des deniers publics. De plus, l' audiovisuel public est régulièrement contrôlé par le contrôle d'Etat et par le ministère du budget.
Sophie_dapres : Y a-t-il un front commun syndicats-direction contre la réforme ?
Jean-François Téaldi : Il y a tout d' abord un front commun de l' ensemble des syndicats de l' audiovisuel public qui dure depuis plus de dix mois maintenant, qui a réussi à mobiliser à trois reprises notamment l' ensemble des salariés les 13 février, 18 juin et 25 novembre, avec trois manifestations ayant rassemblé à chaque occasion plus de 3 000 salariés, et avec des taux de grévistes atteignant 80 à 90 % dans l' ensemble des sociétés.
Jusqu' à l' été, le PDG de France Télévisions semblait assez proche des préoccupations de l' intersyndicale. Aujourd'hui, s' il acceptait de diriger une entreprise dont il sait pertinemment qu' il n' en aura vraisemblablement pas les moyens financiers, il porterait une lourde responsabilité.
Nicolas : En quoi le fait de supprimer le JT national de France 3 vous choque ? La légitimité de France 3 n' est-elle pas dans le régional ?
Jean-François Téaldi : La force de France 3 depuis sa création est d' être à la fois une chaîne nationale et régionale. C' est la synergie entre les sites régionaux et le national qui fait la force et la différence de la société. Le "19/20" est une vitrine nationale des reportages fabriqués en régions. C' est de là qu' il tire son originalité et qu' il est différent éditorialement du "20 heures" de France 2. Les plus de 5 millions de téléspectateurs qui le regardent tous les soirs l' ont bien compris.
Face à l' information des chaînes privées, c' est un enjeu démocratique que de maintenir le pluralisme de l' information de service public grâce aux entités éditoriales de France 2 et de France 3.
Gerard_pas_holtz : La programmation de rentrée très people (Courbet, Hondelatte), au détriment de la réflexion sur les contenus, ne prouve-t-elle pas qu'il faut changer quelque chose à France 2 ?
Jean-François Téaldi : Nous sommes souvent critiques sur le contenu à la fois des journaux et des émissions de programmes. Cela dit, il est incontestable, malgré quelques dérives que vous citez, que les grilles du service public sont totalement différentes de celles du privé.
C' est sur le service public que l' on retrouve plus de 60 % des émissions de spectacle vivant diffusées sur l' ensemble du paysage audiovisuel français, c'est sur le service public que l' on trouve des cases documentaires en prime time, c' est sur le service public que se déroulent les débats politiques hors périodes électorales.
La grille de rentrée de janvier 2009 montrera la différence qu' il y a entre le public et le privé, avec des rendez-vous hebdomadaires musicaux, une case cinéma le samedi, de nouveaux rendez-vous littéraires, entre autres choses.
Il faut savoir que lorsque France Télévisions diffuse un opéra en début de soirée, ce sont plus de 2 millions de téléspectateurs qui sont devant leur poste, et cela fait partie de nos missions.
Titem : Pour garantir l' indépendance de la télévision publique, n' aurait-il pas fallu s' inspirer de la BBC, dont le président n' est pas nommé par le premier ministre, et surtout dont le budget s' étale sur une période de dix ans, ce qui lui permet d' investir à long terme ?
Jean-François Téaldi : L' organisation de la BBC sur ces questions est un modèle à suivre. Même si on a pu constater lors de la guerre civile en Irlande que l' information était assez souvent censurée. Nous ne pouvons plus nous satisfaire d' un CSA qui ne représente plus la diversité des opinions existantes dans le pays, avec un seul membre de sensibilité de gauche.
Il faut réformer le CSA, il faut que les représentants des salariés y siègent, ainsi que les représentants des téléspectateurs. Cela dit, il vaut mieux des PDG nommés par le CSA que par le conseil des ministres.
C' est quand même un filtre par rapport au pouvoir politique. On nous dit souvent que le CSA n' a jamais nommé un président qui ne soit voulu par le pouvoir en place, c' est faux. Au milieu des années 1980, Philippe Guilhaume, dont ne voulait ni la droite ni la gauche, avait été nommé par un CSA à l' époque pluraliste.
Artwo : Le projet prévoit-il de réduire le nombre de chaînes publiques ? Serait-ce une bonne chose, ne serait-ce que d'un point de vue économique ?
Jean-François Téaldi : Dans tous les pays d' Europe, lorsqu' on a réduit le périmètre de l' audiovisuel public, c' est l' ensemble de l' audiovisuel public qui s'en est trouvé affaibli. Je ne pense pas que nous puissions réagir seulement en termes économiques lorsqu' on parle d' information et du pluralisme nécessaire.
Le projet ne prévoit pas explicitement de réduire le nombre de chaînes, mais dans la mesure où il ne les cite plus nommément, il sera possible à tout moment d'en supprimer une pour faire face à l' asphyxie financière qui s' annonce.
Roroahawaiii : A votre avis, France Télévisions aura-t-elle les moyens de rivaliser avec les chaînes privées en terme d' audience ? Ne risque-t-on pas de voir apparaître une télévision qui, sans la pub, ne verra plus l' intérêt de faire de l' audience ? Aux Etats-Unis, la chaîne PBS est devenue une chaîne élitiste dénigrée par la classe populaire et qui ne survit que grâce au don des classes aisées. Que pensez-vous de ce modèle ?
Jean-François Téaldi : Je pense que l' audiovisuel français n' a pas besoin de modèle. Mais il est vrai que le projet de ce gouvernement vise peut-être à terme, par l' asphyxie financière, à réduire l' audience de l' audiovisuel public au niveau de celui de PBS aux Etats-Unis, soit 5 % environ. Il est indispensable que le service public fasse de l' audience, il est vecteur de cohésion sociale.
Lb : Que pensez-vous des gens qui estiment qu'il y a un véritable sureffectif à France Télévisions ?
Jean-François Téaldi : La BBC, que l' on prend souvent en exemple, a un budget et un personnel trois fois supérieurs à ceux de France Télévisions pour assumer les mêmes missions. Il faut savoir aujourd'hui que les journalistes reporters d' images de France 3 effectuent jusqu' à trois reportages par jour, au détriment de la qualité de l'information et de leur santé.
Charlie : On parle beaucoup du mode de nomination du président de la télé publique, de la disparition de la pub... mais peu du contenu et des attentes des téléspectateurs que nous sommes. Les syndicats également ont un discours "technique" ! Ne pourrait-on pas commencer par un débat sur : "Qu' est-ce qu' une chaîne de service public ?"
Jean-François Téaldi : L' intersyndicale ne s' est pas contentée de défendre le financement de l' audiovisuel public. Nous avons fait moult propositions lors de nos auditions par la commission Copé, moult propositions à la direction de l' antenne de France Télévisions.
Nous pensons qu' il faut revenir aux fondamentaux de ce qu' était l' audiovisuel public dans sa triple mission d' informer, de distraire, de cultiver.
La CGT a ainsi proposé de mettre en prime time un magazine sur les migrations, que nous avons élaboré durant près d' un an avec les associations s' occupant de ces questions, comme le Gisti, la Cimade, le MRAP... Sans réponse pour l' instant de la part de la direction.
Nous avons également proposé que l' outil de production de France 3 réalise un plus grand nombre de captations des spectacles vivants produits et diffusés dans les régions (théâtre, opéra...). Non seulement pour exposer au plus grand nombre ces créations régionales, mais aussi pour les garder en mémoire. Mais cela demande des moyens supplémentaires dont nous ne sommes pas près de disposer.
Zlot : Si les rentrées d'argent disparaissent, les diffusions de spectacles vivants et de documentaires dont vous parliez, ne risquent-elles pas de disparaître elles aussi ? Et les productions en régions également risquent d' être menacées. France Télévisions, ce ne doit pas être que Paris !
Jean-François Téaldi : Tout à fait d' accord. Quand je vois que des députés de droite insistent pour que nous fassions plus de programmes sur la diversité, nous ne pouvons être que d' accord. Mais encore faudra-t-il les moyens pour les fabriquer. D' ores et déjà, cette année, des projets ont dû être reportés par manque de financement. La production en région et dans les départements et territoires ultra-marins est effectivement menacée.
Naaba : Le candidat Sarkozy préférait, dixit un article du Monde d' aujourd'hui, plus de publicités plutôt qu' un service public dans l' incapacité de financer ses programmes. Qu' est-ce qui a pu occasionner un tel revirement, selon vous ?
Jean-François Téaldi : Les promesses du président de la République n' engagent que ceux qui les entendent. Il s' était déclaré président du pouvoir d' achat, on voit ce qu' il en est aujourd'hui. Il avait promis qu' il n' y aurait plus de SDF, on voit ce qu' il en est aujourd'hui. Il avait promis qu' EDF ne serait pas privatisée, on a vu ce qu 'il en est.
C'est exactement la même chose pour l' audiovisuel public, pour l' éducation nationale, pour la SNCF, pour la justice, pour La Poste et pour la santé. Nous sommes devant une entreprise de démolition de l' ensemble des services publics à la française. Cela dit, il est possible de le faire reculer. La preuve : la mobilisation autour de La Poste a fait reculer l' échéance de sa privatisation.
En ce qui concerne l' audiovisuel public, le grand écho donné par la presse écrite à ce qui se passe dans l 'Hémicycle montre le véritable but de la réforme : assassiner l'audiovisuel public. Pourquoi le Sénat, qui a déjà retoqué la loi Boutin voilà quinze jours, loi qui s' apprêtait à casser le logement social, ne retoquerait-il pas la réforme de l' audiovisuel ? Nous vous engageons, d' ailleurs, à signer la pétition demandant le retrait de cette réforme lancée par Marianne.
Chat modéré par Chat modéré par Daniel Psenny et Nabil Wakim
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