12 décembre 2008

Edito de Jacques Julliard Nouvel Obs

Le clan des Siciliens

On nous avait dit, cet été, que le baril de pétrole atteindrait bientôt les 200 dollars. Qui ça ? Les meilleurs experts. Il vient de passer sous le seuil des 40.

On nous avait dit qu’une réédition de la crise de 1929 était impossible. Qui ça ? Les meilleurs économistes. Tout le progrès de l’analyse et des instruments de correctionen interdisait le retour. Nous y voilà.

On nous avait dit que le keynésianisme était une vieillerie, l’intervention de l’Etat unobstacle à la croissance. Qui ça ? Les meilleurs libéraux. Aujourd’hui, George Bush nationalise à tour de bras, les Etats industriels multiplient les plans de soutien à l’économie, les grands banquiers confient en privé que c’est tout le crédit qu’il faudrait nationaliser.

Quoi encore ? Ah oui ! On nous avait dit, lors de la campagne présidentielle, que Nicolas Sarkozy était fin prêt à gouverner,que les plans étaient faits, qu’il n’y manquait pas un bouton de manchette.

Aujourd’hui, en matière économique, le même Sarkozy se contredit toutes les six semaines. A tout prendre, je préfère le Sarkozy II (la relance par l’investissement) au Sarkozy I (les cadeaux fiscaux).

La première conclusion à tirer de ce bilan, c’est que, depuis l’effondrement du socialisme comme pratique, mais aussi comme théorie, nous vivons sous le régime de l’imposture et de l’intimidation permanentes.

Faute d’être contredits, les petits messieurs péremptoires de la régulation par le marché, les mécaniciens fous de la société automatique se sont mis à raconter n’importe quoi.

En toute impunité. La grande déroute des économies industrielles qui s’annonce, que dis-je ? qui est déjà là, est d’abord une défaite de la pensée. Çà et là, des esprits indépendants lançaient bien, comme une bouteille à la mer, que tout cela ne durerait pas toujours, qu’un jour ou l’autre la formidable bulle spéculative qui s’accumulait à l’échelle mondiale, ne laissant plus à l’économie réelle qu’un rôle de comparse attardé, finirait bien par crever. En pure perte. Une économie virtuelle, dématérialisée, une économie hors-sol, comme il y a une agriculture hors-sol, continuait à obséder les esprits.

Et pourquoi ? Pourquoi cette préférence pour la déréalité ? C’est bien simple.

Point n’est besoin d’être disciple de l’école de Chicago pour le comprendre. Un peu de psychologie y suffit. Parce que ce système a permis l’édification des fortunes les plus subites, les plus démentielles, les plus déconnectées de tout accroissement de la richesse des nations. Les grands patrons, les banquiers, les traders, les sorciers en « conseil » et en « assistance » construisaient des fortunes colossales en pianotant sur leur ordinateur.

La richesse, c’est simple comme une liaison à internet.

C’est la complicité tacite de ces exploiteurs du système, c’est l’omerta des spéculateurs qui ont transformé les cercles dirigeants de la finance en clan des Siciliens.

Bien entendu, cette imposture généralisée n’a été possible que parce que les chefs de gang ont trouvé des relais zélés dans les médias, expliquant à longueur d’antenne que ce qui est bon pour Zacharias, Bernard, Bouton, Forgeard, Tapie et compagnie est bon pour chacun d’entre nous.

Il s’est créé aussi une doxa ultralibérale, sur laquelle ont proliféré les petits rapaces et les grands prédateurs. Il est triste de devoir expliquer la macroéconomie par la micropsychologie des chefs d’entreprise, mais quand la cupidité personnelle tient lieu d’ambition collective, c’est tout le système qui s’écroule dans l’inanité et le mépris.

L’actualité de la semaine nous fournit une bonne illustration de la tartufferie capitaliste ambiante : l’offensive pour banaliser le travail du dimanche, sur laquelle nous attirions l’attention la semaine dernière, et dont la gauche a sous-estimé la gravité.

C’est Laurence Parisot qui a vendu la mèche.

Le volontariat pour travailler le dimanche, elle est contre.

Cette souplesse accordée au travailleur, c’est une « rigidité » pour l’entreprise. Tiens donc !

Vous verrez que le double paiement des jours fériés sera bientôt considéré comme une nouvelle « rigidité ».

Au lieu de proférer des âneries (le retour à l’autorisation administrative de licenciement), le nouveau porte-parole du PS, Benoît Hamon, ferait mieux de mener les combats qui méritent d’être gagnés.

J. J.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Excellent éditorial comme d' habitude