14 janvier 2009

La suppression du juge d'instruction

Lu sur le MONDE.FR

Van Ruymbeke : la suppression du juge d'instruction "pose le problème des libertés individuelles"

LEMONDE.FR | 14.01.09 | 12h39  •  Mis à jour le 14.01.09 | 15h01

e juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke, dans un "chat" au Monde.fr mercredi 14 janvier, estime que cette réforme implique deux préalables : "L'indépendance du parquet et la possibilité pour l'avocat d'avoir accès à la procédure."

Joseph S. : Une réforme du statut et de la mission du juge d'instruction est-elle selon vous nécessaire ?

Renaud Van Ruymbeke :
Je ne dirais pas nécessaire, mais possible, envisageable. Mais elle suppose deux préalables : d'abord, l'indépendance du parquet, auquel les pouvoirs actuels du juge d'instruction seraient transférés, et ensuite, la possibilité pour l'avocat d'avoir accès à la procédure, ce qui n'est pas le cas actuellement dans le cadre d'une enquête menée par le parquet. Si ces deux conditions sont remplies, on peut fort bien envisager de basculer dans le système préconisé par la commission Delmas-Marty, qui conduit à la transformation du juge d'instruction en juge de l'instruction.

LibertéEquitéSolidarité : Que proposeriez-vous pour que le parquet soit totalement indépendant ?


Renaud Van Ruymbeke :
Que les magistrats du parquet aient les mêmes garanties que les magistrats du siège quant à leur nomination, quant à l'impossibilité de leur donner des instructions et quant à leur inamovibilité. Le problème, c'est que dans la réforme telle qu'elle a été annoncée par le président de la République, il n'a, à aucun moment, été question de donner des garanties statutaires aux magistrats du parquet. On peut même craindre à terme une évolution en sens contraire, à savoir la fonctionnarisation des magistrats du parquet.

Breton_1 : L'indépendance du parquet ne présente-t-elle pas aussi le risque de voir émerger des parquets locaux tout aussi dépendants de pouvoirs locaux ?

Renaud Van Ruymbeke :
Je ne le pense pas. Au contraire, le maintien du lien hiérarchique, voire son renforcement, peut permettre à des pouvoirs locaux d'intervenir en haut lieu et de faire redescendre l'information. Contrairement, par exemple, à l'Allemagne, la France est un pays très centralisé et la carrière des magistrats du parquet est faite par le ministère de la justice.

jbmada : La suppression du juge d'instruction n'est-elle pas un nouveau moyen de mettre les milieux politiques et les milieux d'affaires à l'abri de la justice ?

Renaud Van Ruymbeke : C'est une possibilité, et c'est un risque. C'est certainement le moyen de mettre fin à l'émergence des juges d'instruction qui ont instruit des affaires politico-financières depuis le début des années 1990.

Luciano : Cela va-t-il diminuer les risques de dysfonctionnements tels que ceux que l'on a vus à Outreau ?


Renaud Van Ruymbeke :
Ce n'est pas évident du tout. Je rappelle que dans l'affaire d'Outreau, c'est toute l'institution qui est mise en cause : le juge d'instruction n'a pas placé en détention, c'est un autre magistrat, le juge des libertés et de la détention, le parquet a suivi, la chambre de l'instruction également. Ce serait à mon sens une erreur de se focaliser sur le seul juge d'instruction.

breton_1 : Quel bilan tirez-vous de la fonction (et de l'utilité) du juge d'instruction au terme de votre expérience ? Quelles conséquences tirez-vous de ce bilan dans la perspective d'une réforme de l'institution ?

Renaud Van Ruymbeke :
Je pense que la justice est humaine, perceptible, et le bilan que je tire, c'est que le magistrat, quel qu'il soit, doit toujours se poser des questions et douter, quelle que soit sa fonction. C'est particulièrement vrai pour le juge d'instruction, et ça l'est aussi pour toute autre fonction, que l'on soit au parquet ou au siège.

bjp : Pensez-vous réellement qu'il est possible à la même personne d'instruire à charge et à décharge ?

Renaud Van Ruymbeke : J'espère que oui, car cela fait des années que je le fais. Ce n'est pas un exercice facile, mais c'est une garantie fondamentale pour les personnes poursuivies. Personnellement, j'ai toujours attaché du prix à ce que les droits de la défense puissent s'exercer de façon loyale, et c'est à cette condition que l'on peut rendre une bonne justice. Le magistrat ne doit pas avoir de certitudes, il doit être à l'écoute aussi bien de ce que lui dit le parquet ou la victime que la personne poursuivie. J'ai toujours cru aux vertus du dialogue, et c'est comme cela que je conçois le métier de juge d'instruction. Cela dit, le système est perfectible, et je ne suis pas du tout opposé à une évolution, bien au contraire, dans la mesure où les garanties existant actuellement sont maintenues, voire renforcées. Ce qui est en cause, dans cette réforme, c'est l'exercice des libertés individuelles, qui nous concerne tous.

bijour : Comment se situe aujourd'hui l'indépendance de la justice en France par rapport aux autres pays européens ? Comment sont perçus les juges d'instruction français par leurs voisins européens ?

Renaud Van Ruymbeke :
Il faut distinguer, en France, le siège du parquet, les magistrats qui jugent et les juges d'instruction, qui sont parfaitement indépendants. Par contre, lors d'échanges que j'ai régulièrement avec des magistrats étrangers, j'ai pu constater que le parquet à la française n'était pas du tout perçu comme un parquet indépendant, contrairement, par exemple, à la situation italienne.

L'évolution des démocraties aujourd'hui tend vers une rupture du lien entre le pouvoir exécutif et les autorités judiciaires de poursuite. C'est pour cela que derrière la réforme annoncée se pose immédiatement celle du statut du parquet, et je regrette à cet égard que dans le discours prononcé par le président de la République, il n'ait nullement été question de renforcer le statut des magistrats du parquet.

Djus : Pourquoi la Ve République s'est-elle contentée d'établir une autorité judiciaire plutôt qu'un véritable pouvoir (comme aux USA par exemple) ?

Renaud Van Ruymbeke : Ce n'est pas dans la tradition française. C'est assez paradoxal, car la France est le pays de Montesquieu. Le pouvoir politique s'est toujours méfié des juges, et ce depuis les Parlements de l'Ancien régime qui s'étaient opposés au pouvoir central. On peut constater qu'il n'existe pas de pouvoir judiciaire en France.

Reda_Oulamine : Quelles sont les pressions subies par les magistrats dans des affaires sensibles ?

Renaud Van Ruymbeke : Au niveau des juges d'instruction, elles sont normalement impossibles. A titre personnel, je n'en ai jamais subi. Par contre, au niveau du parquet, elles sont possibles. Dans les affaires sensibles, dites "signalées", le parquet doit rendre compte. Je rappelle que les juges d'instruction ne peuvent instruire des dossiers que lorsqu'ils en sont saisis, et les affaires politico-financières qui se sont développées dans les années 1990 ont montré que les parquets étaient réticents à confier des dossiers au juge d'instruction et à étendre en cours de route leur saisine. Ces mécanismes ont montré des risques d'étouffement en amont des affaires signalées.

Djus : Si le pouvoir des juges d'instruction peut paraître trop grand en France, qu'en est-il des affaires internationales ? Tout particulièrement des affaires financières qui mènent fatalement à un paradis fiscal ?

Renaud Van Ruymbeke : Les principales affaires financières ont une dimension internationale. L'argent circule dans des paradis fiscaux, lesquels rendent les investigations à l'étranger particulièrement difficiles, et le juge d'instruction se heurte à des difficultés parfois insurmontables compte tenu de l'opacité des circuits mis en place dans ces paradis fiscaux.

ap_1 : La Cour européeenne des droits de l'homme a jugé que le parquet français ne pouvait pas être considéré comme une "autorité judiciaire" du fait de sa dépendance notamment ; cela ne bloque-t-il pas le projet de Nicolas Sarkozy de lui confier les enquêtes judiciaires ?

Renaud Van Ruymbeke : C'est tout le problème, car confier les pouvoirs actuels du juge d'instruction à un magistrat dépendant du pouvoir exécutif pose le problème des libertés individuelles. Je pense que ce sera le principal obstacle à la réforme annoncée. La Cour européenne est là pour nous rappeler un certain nombre de principes, que nous devons respecter.

breton_1 : Pourquoi, selon vous, si peu de voix s'élèvent sur le risque que la réforme fait courir à la justice, notamment chez les intellectuels ? Est-ce une question de tradition française que vous évoquiez plus haut ?

isabelle : Pourquoi ne voit-on pas les juges manifester contre le plan Sarkozy ?

Renaud Van Ruymbeke : Je l'ignore. Quel est le degré de conscience de chacun aujourd'hui face aux risques que fait courir la réforme pour les libertés ? C'est vrai qu'en France il existe depuis fort longtemps une culture dite de soumission. Nous portons le poids des Parlements de l'Ancien régime, mais aussi celui du comportement d'une partie de la magistrature durant la seconde guerre mondiale. La justice n'a jamais constitué un véritable pouvoir en France, et je me demande dans quelle mesure une telle évolution est souhaitée, compte tenu de la tradition française.

cathy : Pour diminuer l'impact négatif de cette réforme en terme de garanties des droits, quels devraient être, selon vous, les pouvoirs octroyés au nouveau juge de l'instruction ?

Renaud Van Ruymbeke : Il faut savoir ce que l'on veut. Si on supprime le juge d'instruction, le nouveau juge de l'instruction perd toute prérogative dans la conduite de l'enquête. Il faut être conscient que l'enquête sera menée par le parquet. Le juge de l'instruction ne sera amené à intervenir que pour autoriser ponctuellement des mesures mettant en cause les libertés individuelles. Dès lors, je ne vois pas comment on peut dire que le juge de l'instruction contrôlerait le travail du parquet. Il perd la conduite de l'enquête. C'est ce qui est en jeu.

Chewboccara : Le parquet ne sera-t-il pas "désarmé" si tous ses actes d'investigation impliquant une restriction des libertés fondamentales (perquisition, saisies...) doivent passer devant un juge de contrôle ?

Renaud Van Ruymbeke : Non, il ne sera pas désarmé. Le principe du contrôle par un juge indépendant est fondamental dans la réforme. Il est nécessaire de protéger les libertés. La difficulté vient du fait que l'enquête sera menée exclusivement par un magistrat dépendant du pouvoir exécutif, et que le juge de l'instruction n'aura en quelque sorte qu'un droit de veto au titre de la protection des libertés.

Je rappelle également que dans le système actuel, la personne mise en examen est entendue par le juge d'instruction en présence de son avocat, lequel a un accès au dossier et peut demander des investigations au juge d'instruction. Cela avant que le procès n'intervienne. Si une réforme intervient, il faudra prévoir des droits équivalents pour la défense. Au stade de l'enquête, l'avocat n'a nullement accès au dossier. Lorsque, aujourd'hui, le parquet décide de ne pas confier une affaire à un juge d'instruction et de la diriger lui-même dans le cadre d'une enquête préliminaire, la défense n'exerce aucun droit, en ce sens que la personne poursuivie n'a pas accès au dossier. En ce cas, elle ne découvrira son dossier qu'au stade de l'audience. Supprimer le juge d'instruction en l'état aboutit à généraliser cette procédure, y compris dans les affaires les plus graves et les plus complexes.

Solemnis : Laurent Le Mesle, procureur général de Paris, a déclaré hier sur France Inter que les procureurs avaient toujours la possibilité de se saisir d'une affaire s'ils le souhaitaient et que le ministère ne pouvait pas leur adresser d'injonctions pour qu'ils se désaisissent d'un dossier. Si c'est vrai, comment pourrait-il y avoir des abus avec le nouveau système ?

Renaud Van Ruymbeke : Tout dépend de l'indépendance du magistrat du parquet. Quelle sera son indépendance s'il sait que sa carrière dépend du garde des sceaux et qu'il ne dispose pas d'un statut suffisamment protecteur ? Il pourra s'opposer à toute tentative d'instruction, mais il en mesure les risques, en particulier dans des affaires "signalées". Je ne peux que constater aujourd'hui que la garde des sceaux s'est proclamée elle-même chef des procureurs.

raphael : Ne pensez-vous pas que le réel problème du juge d'instruction aujourd'hui est son manque de moyens plutôt que sa trop grande indépendance ?

Renaud Van Ruymbeke :
Il est vrai que les policiers dépendent du ministère de l'intérieur. L'évolution qui me paraît souhaitable, c'est le rattachement de la police judiciaire au juge d'instruction et au procureur, comme c'est le cas en Italie. En Italie, les procureurs sont indépendants, et la police judiciaire leur est directement rattachée. C'est d'ailleurs l'origine du conflit entre la magistrature italienne et M. Berlusconi [le premier minsitre italien].

ameo : Les systèmes de la co-saisine et des pôles de l'instruction ne seraient-ils pas suffisants pour apporter des garanties au statut de juge d'instruction ?

Renaud Van Ruymbeke :
C'est une excellente évolution, qui devait être généralisée l'année prochaine, et qui permet de rompre l'isolement du juge. L'idée du travail en équipe fait son chemin et le juge d'instruction doit s'y adapter, ce qui n'est pas non plus dans sa culture. La collégialité permet la discussion, la confrontation des idées et en principe agit comme un modérateur. Est-ce suffisant ? Je ne le pense pas. J'ai toujours pensé qu'il fallait refondre la procédure et ne pas se contenter d'effectuer des replâtrages en fonction du retentissement médiatique d' une affaire particulière.

Cette refonte globale nécessite une mise à plat de notre système judiciaire et pose le problème non seulement du statut du parquet, mais, au-delà, celui du pouvoir judiciaire. Elle pose aussi la question de la transparence de la justice et du secret de l' enquête et de l' instruction. Donc celui de la presse et de l' information du citoyen. Il est dommage que l' affaire d' Outreau n' ait pas permis de mettre en place une réforme de cette ampleur. Je trouverais regrettable qu' elle aboutisse purement et simplement à la suppression du juge d' instruction sans que des garanties, nécessaires, soient données au justiciable.

ziloa : Que vont devenir les juges d'instruction actuels ? Seront-ils obligés de " rejoindre " le parquet ?

Renaud Van Ruymbeke : Cela ne me paraît pas possible, car vous ne pouvez pas imposer à un magistrat indépendant de perdre son indépendance. On peut aussi poser la question du devenir, non seulement des six cents juges d' instruction, mais aussi de l' ensemble des dossiers qu' ils traitent et des personnes actuellement mises en examen et assistées d' un conseil.

Chat modéré par Alain Salles

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Magistrat assis, magistrat debout...

Les juges d' instruction dérangent les politiques, les patrons, s' ils commettent parfois des erreurs, une justice aux ordres du gouvernement et autres puissants ce n' est pas un bon signe pour la démocratie.

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