16 juillet 2007

Incarcérer ne sert plus à rien,lu dans le Nouvel Obs...

Le point de vue de Sébastian Roché

Incarcérer plus ne sert à rien
L'opposition est prompte, en matière de sécurité, à accuser la majorité de populisme. a réalité du mal est bien pire que cela: la culture de l'ignorance prévaut au sein de l'Etat central français, sous la gauche comme sous la droite.
Dans notre pays, on étudie avec plus d'attention l'effet du shampoing antipelliculaire sur le cuir chevelu que celui du recours à la sanction par la privation de liberté sur la sécurité de notre nation.
En dépit de trente années de polarisation des débats publics sur la délinquance des mineurs, aucune étude scientifique n'a jamais été commandée afin de valider des méthodes efficaces pour prévenir la récidive.
Lorsque de telles approches furent proposées, elles se virent écartées par le pouvoir.Certes, la droite a mieux compris que la gauche que la violence physique est un vrai problème et qu'on ne peut pas attendre d'avoir corrigé les effets pervers de la mondialisation pour s'en occuper. Elle a mieux compris qu'il existe des noyaux durs de délinquance.
Elle a su faire fructifier électoralement cette approche. Mais pour en faire quoi?Les dispositions prévues par le projet de loi portant sur la récidive des mineurs visent à une chose: incarcérer plus.
Il y a un fondement supposé à ce choix: la croyance qu'une plus grande sévérité de la loi et de son application dissuade d'agir, et aussi de recommencer si on a été pris la main dans le sac. Est-ce vérifié dans les faits?
Depuis 1978, de nombreux Etats américains ont modifié les lois pour juger les mineurs comme des majeurs soit en abaissant l'âge de la majorité pénale, soit en les jugeant dans des juridictions pour majeurs, soit en fixant des peines planchers (c'est-à-dire des condamnations minimales obligatoires).
Des études rigoureuses ont été conduites et publiées dans les revues scientifiques les plus prestigieuses. La première porte sur les effets des transferts à la suite du vote d'une loi emblématique en 1978 à New York (New York Juvenile Offender Law) qui abaisse l'âge de jugement dans une juridiction pour adultes à 14 ans lors de violences graves. En comparant les niveaux de délinquance violente quatre ans avant et quatre ans après le vote de la loi, et en comparant la ville de New York à celle de Philadelphie (qui n'a pas voté de nouvelle loi), on découvre que la menace de sanction ne sert à rien et que l'invocation de la dissuasion est inopérante. Les études ultérieures le confirment.


D'autres travaux portent sur le suivi des adolescents violents qui ont été transférés dans une cour pour adultes.
Toujours à New York, les jeunes auteurs de délits violents jugés comme des majeurs sont plus souvent récidivistes et ont commis un nouveau délit plus rapidement après la fin de leur peine que ceux qui sont restés dans les juridictions pour mineurs.
C'est la même chose en Floride, l'Etat champion de ce tour de passe-passe. En fait, ce dispositif accroît la récidive! Dans les 22 Etats américains où les mineurs sont jugés comme des majeurs, les chiffres sont clairs et confirment ces effets indésirables. Supprimer ce que nous appelons l'«excuse de minorité» n'est donc pas une mesure efficace contre la récidive.
Enfin, des peines planchers ont été introduites aux Etats-Unis en 1986 et en 1988 pour lutter contre le trafic de drogue. Malgré l'explosion des incarcérations (1 détenu sur 4 l'est pour ce motif), cela ne marche pas. Le trafic de drogue est toujours aussi florissant.

Pourquoi incarcérer plus ne fait-il pas baisser la récidive? Les délinquants impliqués dans le trafic de drogue n'ont pas peur des risques: dotés d'un profil à forte impulsivité, ils les recherchent!
Pour les mineurs, le sentiment d'avoir été traités injustement renforce le discrédit vis-à-vis de la police et de la justice, et par conséquent le non-respect des lois. Les peines planchers qui augmentent le nombre de détenus n'ont pas d'efficacité sur la réinsertion. Or c'est le travail fait avec l'adolescent qui peut lui permettre de s'amender, pas le cadre pénitentiaire en lui-même.


Au fond, quelle est la mission de Mme Dati?
Etre fidèle à un engagement du président de la République, être efficace. Ce qu'elle propose va dans le sens inverse et n'a jamais fait ses preuves.
Pourquoi donc aller chercher les «recettes» chez le plus mauvais élèves des pays occidentaux, les Etats-Unis, celui dont à population égale le taux de meurtres est le plus élevé (3 fois plus), le trafic de drogue le plus important (6 fois plus), le tout avec une population carcérale 7 fois plus nombreuse?
C'est d'autant plus aberrant que, confrontés au coût de la prison et voyant l'inefficacité de ce choix, de plus en plus d'Etats américains se détournent du recours croissant à l'incarcération. Répondre à la récidive est un réel défi.
Mais on ne le fera pas en recourant à la gesticulation.
Faute de savoir comment agir efficacement et croyant faire plaisir à l'opinion, ce gouvernement va ajouter un désordre supplémentaire à celui qu'il prétend combattre.Directeur de recherche au CNRS, Sébastian Roché est également membre de la commission d'Analyse et de Suivi de la Récidive. Il est l'auteur de «la Délinquance des jeunes» (Seuil).

Sébastien RochéLe Nouvel Observateur

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